Contexte & Philosophie x

Introduction au programme de recherche proposée par les étudiants de l’année 2019-2020.

Il est nécessaire de faire la distinction entre le Web et l’Internet. Le Web c’est-à-dire le World Wide Web (WWW) est le système qui permet de naviguer de page en page en passant par un navigateur. Internet est le protocole qui permet de lire des contenus hypertextuels sur internet. Ce dernier est donc un des services que propose le réseau internet.

Les prémices d’Internet commencent dès la fin des Trente Glorieuses, en 1969 avec ARPANET, dispositif de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui laissera rapidement place à de nouveaux réseaux. C’est en 1989 que le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) développe le Web afin que des scientifiques du monde entier puissent communiquer leurs informations. En 1993, Internet n’est encore qu’un réseau relativement confidentiel qui ne comporte que 130 sites. Ce qu’on appelle aujourd’hui le Web.1.0. est considéré comme une parenthèse utopique de l’histoire du Web, les graphismes rudimentaires de cette époque seront à l’origine de la création des « autoroutes de l’information ». C’est à cette époque que commencera à se populariser Internet grâce aux trois portails principaux de cette époque : MSN, Yahoo! et AOL, mais aussi grâce à des investissements importants dans un contexte économique favorable. En effet, les investisseurs se tournent vers les nouvelles technologies et certains politiques comme Bill Clinton s’engagent  massivement dans cette « nouvelle économie ». Cette période reflète un mode de pensée particulier où l’on pensait qu’Internet était un lieu de liberté comme en témoigne la Déclaration d’indépendance du Cyberespace de John Perry Barlow en 1996.

C’est au début de l’an 2000 que l’utopie relative prend soudain fin avec l’éclatement en Bourse de la « bulle Internet » et l’apparition du Web.2.0., autrement dit un Internet participatif et interactif, celui que l’on connaît aujourd’hui. On assiste à l’émergence de communautés qui génèrent de plus en plus de contenus, l’utilisateur n’est plus ’un simple récepteur d’informations. C’est à cette époque que le moteur de recherche Google commence à s’imposer, proposant une entrée individualisée sur le Web. La « 4e révolution industrielle » met en place une nouvelle ère, l’ère de l’information, dont les maîtres mots sont « l’ordinateur », la « numérisation » et « la mise en réseau ».

La France est l’exemple concret de l’évolution de l’économie d’Internet  télécommunications et de nos méthodes de communication. On assiste à l’affrontement entre l’informatique américain, avec une architecture non sécurisée mais à moindre coût, avec une décentralisation des données, un terminal simple et le Minitel français qui propose une architecture sécurisée chère, très centralisée, avec un terminal intelligent soutenu par des ingénieurs télécom. À l’époque, en France, on pense que les deux systèmes vont pouvoir coexister.

La décennie 1990 est donc celle de la la consécration d’Internet. Le Minitel est vu comme un outil subalterne, quand tout le monde comprend qu’Internet est devenu le réseau mondial. La France est alors en retard en termes de taux de connexion à Internet : en 2001, 17 % des foyers sont connectés, retard qui sera rapidement comblé puisque quatre ans plus tard, plus de 40 % des foyers français seront reliés au réseau, notamment parce que la population française a l’habitude d’utiliser une interface, un clavier et une connexion avec l’utilisation du Minitel.

Alors que la commercialisation du Web progresse de plus en plus, ainsi que la démocratisation des logiciels propriétaires, une autre voix s’élève, celle de l’Open source et des logiciels libres, représentée notamment par Richard Stallman informaticien au MIT qui, dans les années 1980, énoncera quatre libertés fondamentales qui régissent les logiciels libres : liberté d’exécuter le programme pour tous les usages, liberté de d’étudier le fonctionnement du logiciel, liberté de copier et redistribuer le programme, liberté de modifier le programme.

Cette idéologie s’oppose au modèle économique des géants tels qu’Apple ou Microsoft. Le logiciel libre énoncé par Stallman est avant tout un projet social plus que technologique. Même si ce modèle semble avoir perdu la bataille à la fin des années 1990, il a insufflé de nouvelles idées : partage et diffusion de l’information.

Aujourd’hui, la question de l’Open source revient sur le devant de la scène, la tendance actuelle est à à la vulgarisation du code informatique et au partage des « recettes de cuisine » pour créer un objet ou une pièce numérique de A à Z.

C’est de là que naît le programme de recherche “Retour aux Sources” (RAS), qui découle d’un constat : une grande majorité des écoles supérieures d’art possède un parc informatique proposant une suite de réalisations numériques Adobe, véritable représentation du logiciel propriétaire. Cependant,  dans le contexte de recherche appliquée à la création, l’usage continu de ces outils entraîne une réelle perte de maîtrise et accentue une dépendance à ces logiciels, menant à une homogénéisation des méthodes de créations des objets audiovisuels, graphiques qui impacte tout support de diffusion. Ces systèmes fermés engendrent indubitablement des compositions redondantes, une quantité d’effets parfois inutiles et une calibration commune. Il paraît important que les étudiants des écoles d’art puissent se saisir de l’outil code pour pouvoir repenser les modes de production. L’ESAC Cambrai s’inscrit dans cette culture du libre pour cultiver l’indépendance artistique et proposer de nouveaux modes d’écriture, notamment créer via le code.

Nous sommes dans une période qui favorise l’harmonisation et la stabilité des langages informatiques, c’est l’occasion pour les étudiants de s’emparer de cette histoire des technologies,  pour proposer de nouvelles formes d’art numérique. À l’image des techniques de rétro-ingénierie en sciences dures, il est donc intéressant lors des séances de l’Atelier de Recherche et de Création (ARC) RAS d’essayer de comprendre le mécanisme d’une pièce numérique, de la décomposer pour pouvoir la recomposer. Recoder les pièces anciennes est un prétexte pour comprendre l’essence même de l’œuvre. Apprendre à créer avec l’existant, c’est aussi montrer les circulations possibles entre les supports analogiques et numériques. RAS s’aligne donc sur une dynamique de partage et de diffusion que porte notamment l’Open source. Au-delà de la diffusion de l’outil, se profilent d’autres questionnements, notamment : comment sauvegarder les créations numériques (le net art, les applications artistiques, les images dynamiques) ? Cet état des lieux, en lien avec les initiatives et recherches menées dans de nombreux musées et centres d’art à propos de la conservation des supports numériques, ouvre un espace de réflexion fondamental, précisément parce que ces questions rejoignent la sauvegarde des créations analogiques. L’objectif de RAS est de mettre au jour et à jour des œuvres simples, parfois oubliées mais aussi des fragments de codes qui ont fait l’histoire du design interactif ou de l’art numérique ; de se saisir des briques algorithmiques qui les composent pour créer de nouvelles pièces, dont l’un des premiers projets représentatifs est la réinterprétation des Reactive Books de John Maeda. La nécessité de rédiger un manifeste s’est également imposé, en énonçant clairement les objectifs de l’atelier. De cette envie est née [déclaration.html]. (Lien)

En 2020, se tiendra Retour Aux Sources I qui exposera les travaux des étudiants réalisés dans le cadre de l’ARC RAS. Cette restitution sera articulée autour de plusieurs configurations :  la restauration et l’augmentation des Reactive Books de John Maeda, pionnier du design d’interaction mais aussi une série de dispositifs interactifs confrontant objets analogiques et traitement numérique actuel, ainsi qu’une présentation du FabLab RAS.

C’est bien là l’intention du projet « Retour aux sources » : il faut savoir s’imprégner de l’existant pour produire des œuvres originales. La machine doit être pour l’étudiant en graphisme un outil d’émancipation et non pas un outil d’enfermement formel et technique.